mardi 29 mars 2011

Bilic, derrière la fumée

L'étonnant Slaven Bilic est de retour au Stade de France treize ans après le France-Croatie de 1998. Polyglotte, cultivé, diplômé en droit, fumeur invétéré, guitariste talentueux et entraîneur précoce, le sélectionneur croate, héritier du loufoque et génial Miroslav Blazevic, ne passe pas inaperçu.
Jusqu'à la fin de ses jours, on lui parlera sans doute de cette minute de 1998, avec Laurent Blanc, où le Président a récolté une expulsion. Les deux joueurs se sont expliqués depuis. Bilic a toujours insisté sur le fait que le Français avait bien eu ce geste, peu importe qu'il l'ait amplifié. Fan de Costacurta, le Croate a surtout avoué avoir été marqué par la double suspension de l'Italien pour les finales de la Ligue des Champions de et de la Coupe du monde 1994 pour cause d'avertissements en demi-finale. A Saint-Denis, il est sous le coup d'une suspension au prochain avertissement. le spectre d'un double carton jaune fatal lui revient comme un flash lorsqu'il se frictionne avec Blanc. A côté de lui, Igor Stimac lui hurle de se mettre à terre. La suite est connue. M. Garcia Aranda, l'homme qui avait annulé le ciseau de Laslandes contre Dortmund en 1997, une fois de plus, ne sera pas dans un grand soir pour les Français.
Pourtant, réduire Bilic et la Croatie de 1998 à ce geste serait injuste. Sans Alen Boksic, mais avec Suker, Jarni, Vlaovic, Asanovic, Stanic, Prosinecki, les Croates ont surpris le monde entier cette année-là en atteignant les demi-finales. Lors de la causerie d'avant-match contre l'Allemagne, Blazevic avait prévu un discours tactique sur la façon d'empêcher les centres d'arriver sur la tête de Bierhoff, mais à voir celle de ses joueurs, il a vite changé d'avis. "Vous devez aller sur le terrain aujourd'hui et mourir pour le drapeau croate, et pour tous les gens qui ont donné leur vie pour ce pays". Résultat, 3-0, et un match parfait. Dans le livre Behind the Curtain, de Jonathan Wilson, Bilic raconte cette période: "Nous avions un groupe de qualité mais notre grande force était que nous étions des amis. Dans une sélection, chacun vaque à ses occupations, écoute de la musique dans son casque, ou joue aux jeux vidéos. Nous étions tout le temps ensemble, juste heureux de partager ces moments et de représenter notre pays. C'est ce qui a fait notre force".
Une fracture de fatigue à la hanche jamais surmontée
De la force et du courage, Bilic en a eu besoin, puisqu'il a disputé le Mondial avec une fracture de fatigue à la hanche. Cette blessure aggravée a signé la fin de sa carrière, à la grande colère des fans et de la direction d'Everton, qui avait mis 6 millions d'euros sur la table à l'été 1997 pour le débaucher de West Ham, avec un salaire conséquent à la clé. Résultat, 26 matches de championnat en trois ans, et une indemnité d'un million d'euros pour rompre son contrat en 2000. Aujourd'hui, Bilic roule toujours en jeep parce qu'il lui est physiquement difficile de s'installer dans de plus petites voitures. Après une dernière pige chez lui au Hajduk Split, Bilic est brièvement devenu coach de l'équipe, jusqu'en 2002. Puis, pendant deux ans, il a troqué le banc de touche et les crampons pour la scène et sa Gibson Explorer rouge. Musicien émérite, Bilic est guitariste du groupe de rock à succès Rawbau, avec lequel il a notamment signé la chanson officielle des Croates à l'Euro 2008 Vatreno Ludilo, un morceau endiablé et entraînant.
En 2004, Bilic a repris du service avec les moins de 21 ans croates, en compagnie de son ami Aljosa Asanovic. C'est avec lui qu'Eduardo, Modric, Corluka, ont connu leurs premières sensations sous le maillot à damier. Aussi lorsqu'il a succédé à Zlatko Kranjcar (père de Niko) en 2006 à la tête de la sélection, l'objectif était clair: redonner à cette équipe le sens du jeu, et une identité technique que les retraites de Boban, Asanovic et Prosinecki lui avaient fait perdre. Asanovic et Prosinecki ont fait partie de l'aventure dans le staff, jusqu'à ce que le blond ne parte voler de ses propres ailes à l'Étoile Rouge de Belgrade il y a quelques mois. Les premiers temps de l'ère Bilic sont couronnés de succès. Modric et Eduardo régalent, la Croatie est de nouveau séduisante à voir jouer, et elle se paie l'Angleterre dans un groupe difficile. A une minute près, les Croates sont en demi-finale de l'Euro 2008, mais la persévérance turque en décide autrement. Comme prévu, Modric est la révélation technique du tournoi avec le Russe Arshavin.
Incontesté à son poste
Puis, malgré une campagne qualificative 2010 ratée pour cause de manque d'humilité, et deux raclées encaissées contre l'Angleterre de Capello, il n'est venu à l'idée de personne de démettre Bilic de ses fonctions. D'abord, il est le garant de la continuité du football croate, l'a fait remonter après le creux de 2000, et lui a redonné sa touche technique. Ensuite, tous les joueurs sont derrière lui, y compris Dario Srna et Ivica Olic par exemple, que Bilic n'avait pas hésité à écarter de l'équipe pour indiscipline avant un match capital en Russie. Enfin, qui pourrait-on mettre à la place? Slaven Bilic est le genre de mec atypique aux multiples talents et casquettes, capable de passer la nuit à parler aussi bien de Modric que de Gary Moore, dans une pièce enfumée, et à la fin, il offre le café et ramène tout le monde chez lui. Quelqu'un dont le football a besoin pour rester humain et attachant.
 Eurosport
http://fr.sports.yahoo.com/29032011/70/matches-amicaux-equipes-nationales-bilic-derriere-la-fumee.html
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